En 1965, un gosse a quitté ses parents, frères et soeurs, sa maison, ses chats, sa chambre, son univers, tout ce qui construit l'équilibre affectif primordial de l'enfance. Il avait dix ans. IL AVAIT DIX ANS. Une espèce de sourire mal fagoté aux lèvres,une fierté trop ostensible et le coeur en charpie. A vif. Saignant comme un magret. Sans les tranches de pêches dorées. Sans la douceur d'une coulée de miel. Il avait dix ans. Il avait décidé de devenir "prêtre". Blouse grise numéro 165. De gras curés recruteurs avaient habilement manipulé longuement et patiemment son âme sensible et sa belle naïveté de gosse. On lui avait dit que la souffrance était beauté et offrande. Joie et éternité. Que le paradis était à ce prix. Paradis, Purgatoire, Enfer. la trilogie infernale. La menace, l'argument de frappe du curé recruteur. Qu'il fallait offrir, aimer, prier et faire des sacrifices. Donner humblement. Et tendre l'autre joue aussi. Alors il souffrait et offrait ses privations d'enfant "rapté" pour la rédemption du monde... Il avait dix ans. Blouse grise numéro 165. Inoubliable matricule. Comme ce cloître lugubre, ces dizaines de chapelet égrénées, ces vies de saints assénés en lecture pendant le repas. Il avait tout cru. Tout supporté. Tout avalé. Le réveil à la cloche de cinq heures trente, se mettre à genoux immédiatement au pied du lit pour remercier le Seigneur de la beauté de la journée à venir, la toilette à l'eau gelée, cirage des chaussures, les draps au carré, la messe quotidienne les yeux plein de sommeil, les études matinales et tardives, le réfectoire aux mornes repas, la réserve de "pain frais à rassir" pour éviter d'en manger trop, ce dortoir immense, sordide et glacial, la torche violente des surveillants nocturnes, le retour aux vacances dans la famille, ces terribles dimanches soirs noirs avec le coeur et les boyaux en perdition, avec un déchirement indicible et violent, les tableaux d'honneur sésame indispensable au retour dans la famille et ce lit où toute les nuits il s'inventait des petits bonheurs simples d'enfants... Tout avalé. Même pire. Un jour il racontera, bientôt il racontera. Tout et sans omission. Pour se libérer enfin. Le "grand confessionnal" de son enfance, sans le voyeur en noir dedans et sa sacro-sainte moralité. Le grand déballage...
Tout avalé.
Et puis enfin tout vômi.
Un vol entier de corbeaux. Avec des plumes bien noires.
Presque tout. Car il a digéré bien plus tard des choses essentielles à sa vie. Le goût et le respect de l'autre, la solidarité, l'amitié, la tolérance et le goût du peu.
Et surtout celui des mots. C'est là-bas qu'il a malhabilement couché ses premières histoires, raconté aux copains des histoires insensées, inventées. Lu Pagnol et Frison-Roche. Découvert aussi le rugby de campagne et ses valeurs de bâtisseurs d'hommes, conquérantes et libres. Les coups, les feintes, les ruses, les parades habiles. Et surtout devenir "dur" au mal et "doux" aux autres.
Voilà, devenir simplement doux aux autres.
Ce gosse a fait son chemin de vie. Bien éloigné de toute vie et pratique religieuse. Aucune espérance dans la théologie, ses dogmes et ses principes inébranlables. Il a offert à ses enfants la liberté morale et précieuse de n'avoir aucune contrainte doctrinaire et une liberté de penser intacte, vierge, avec toutes les cases à remplir, à se construire eux-même, au cours des rencontres humaines, des expériences, des créations, des sentiers parfumés, des échecs, des peines, des reconstructions, des amours passionnés, des réussites, des doutes...
On ne devient pas disciple du dit "créateur" à l'âge de six mois sur un fond baptismal entouré d'une famille et des amis focalisés sur le banquet, les ripailles, les retrouvailles et les agapes à suivre.
Aujourd'hui, l'Eglise catholique de France, à l'approche de la journée mondiale des vocations, lance à l'initiative des évèques de France et du Service National des vocations, une vaste campagne de communication. De recrutement. Une grande première dans le mode de communication de l'Eglise catholique. Déclinaisons de trois thèmes et messages adaptées à trois cibles : les jeunes afin de les interpeller " au moment où ils s'interrogent sur leur avenir", les jeunes travailleurs et les plus de trente ans afin de "montrer que les prêtres sont bien dans leur peau, heureux, passionnés et qu'ils vivent leur engagement avec joie" dit le Père Eric Poinsot, directeur du Service National des Vocations. L'affiche ci-dessus, destinée aux jeunes affirme en anglais (oui, car en français ça aurait fait franchement ringard ) : "Jesus is my boss!" et de répondre "Why not?"...
Même si elle me semble déplacée, douteusement raccoleuse et malhabilement conçue, je ne peux donc que me réjouir de cette campagne qui incite des "êtres responsables" en âge de décision à s'engager dans un sacerdoce difficile, inadapté en pleine crise des vocations avec des dirigeants aux propos parfois douteux avec une condamnation du port du préservatif "criminelle" et pour laquelle ils devront répondre devant leur Dieu père, fils et Saint Esprit de leur part de responsabilité dans les milliers de morts du sida à travers le monde .
Et d'enfin ne plus se jouer des âmes claires des enfants.
J'avais dix ans...